Trecking The Best of Alay

Aux confins du Kirghizistan, la frontière avec la Chine et avec le Tadjikistan oscille entre 5000 et 7000 mètres d’altitude, au gré de sommets dont les faces nord, glaciaires, sont toutes aussi grandioses les unes que les autres. Le regard se perd en perspectives fuyant vers l’azur.

LA chaîne du Pamir au-delà de la plaine de Alay

Au pied de cette impressionnante chaîne du Pamir, la vallée de Alay mériterait l’appellation de haut plateau, tant ses étendues sont vastes, ses graviers interminables, parcourus de rivières qui méandrent leurs eaux boueuses à leur guise. Sary Mogol, village de quelques milliers d’habitants, étend généreusement ses maisons sur le cône de la rivière de même nom. Chaque matin le village se réveille face à la lumière qui inonde les flancs glacés du Pic Lénine.

Sary Mogol et le Pic Lénine (sur la gauche) au petit matin

Jour 1

Guère de bétail dans les champs de plaine, desséchés par un soleil ardent. Il faut remonter la rivière Sary Mogol sur une piste de terre, en direction de la chaîne montagneuse de Alay, pour croiser les premières bêtes partageant leur herbe avec de nombreuses marmottes. Fin Juin les familles sont au Jailoo, sur les alpages répartis aux pieds des montagnes, au gré de vallées plus ou moins accessibles. Notre piste passe de prairie en prairie, dont l’herbe, pourtant bien verte, ne dépasse guère les quelques centimètres. À peine poussée, elle est broutée par les chevaux, vaches et moutons qui paissent à leur aise. La pente vient buter contre les falaises lorsque notre chauffeur nous dépose à l’exutoire d’une gorge étroite, taillée dans la roche. Nous sommes six touristes occidentaux, deux britanniques, David et Jack, une russo-américaine Eliéna, Sandra, une italienne et deux suisses, Anne et François, guidés par Mammir -Мамыр. Trois porteurs, Aïdar -Айдар, Chingouc -Чингус еt Apich -Апиш nous aident à transporter les affaires pour une semaine de trekking. Ils ont été préférés aux chevaux qui ne peuvent franchir les quelques pentes de neige subsistant sur le parcours.

Montée vers le col de Sary Mogol

En escaliers successifs, le sentier nous achemine vers les 4300 mètres du col de Sary Mogol, effleurant au passage un sommet glaciaire aussi élevé que nos plus hauts sommets alpins. À ses pieds dorment cinq lacs encore partiellement gelés, malgré un soleil plus que généreux.

Le col de Sary Mogol (sur la droite, en bas de l’image) et ses cinq lacs

Au revers du col subsiste une pente de neige: ces neiges kirghizes sans aucune consistance, où l’on enfonce tellement que l’on finit par mouiller sa culotte pour un mode de descente plus efficace. Aux pantalons détrempés succèdent très vite les chaussures, au gré de franchissements plus ou moins aléatoires du torrent bouillonnant dans sa descente. L’humidité accumulée durant la journée finit par nous doucher sous un orage cinglant d’éclairs les cimes environnantes.

Franchissements plus ou moins aléatoires du torrent bouillonnant

Nos accompagnants nous aident à franchir les derniers gués sur des roches détrempées. C’est le moment opportun pour arriver aux yourtes aménagées juste au bon endroit par notre tour opérateur « Visit Alay. » Nous y attend une collation de bienvenue agrémentée de thé vert ou noir, puis une assiette ravigotante de pommes de terre et de viande. Les tables sont évacuées pour faire place aux nattes et aux corps las aspirant au repos, alors que les vêtements détrempés sèchent autour du poële. Le repos ne s’avère que partiel en raison de l’altitude du camp situé à 3600 mètres. Gros programme pour cette première journée!

Jour 2

Le soleil nous accueille à l’heure exacte du départ pour achever notre longue descente vers un village dénommé lui aussi Sary Mogol, mais plus petit, dans la vallée de Kichik Alay.

Descente du Sary Mogol Pass en direction de la vallée de Kichik Alay

Non loin de là une mine de charbon génère un trafic de poids lourds chargés de minerai, qui soulèvent la poussière de la route pourtant régulièrement aspergée d’eau. Un bref transfert en camionnette nous évite le désagrément et nous pouvons bientôt nous abriter du soleil de midi sous une yourte où nous attend un plov ravigotant, de même qu’une douche rafraîchissante. Difficile ensuite de reprendre la marche pour un chemin grimpant quelques 600 mètres jusqu’aux 3215m du col de Kosh Moinok, qui donne accès à la vallée de même nom.

Les yourtes de Kosh Moinok, terre de quiétude absolue

Une belle vallée reculée, inaccessible depuis le bas, où paisse le bétail dans une quiétude totale. De jeunes poulains partagent un herbage abondant avec quelques vaches ainsi que de grasses marmottes rouquines, qui ont dû emprunter leur sifflet aux policiers kirghizes. Deux yourtes sont aménagées au cœur de cet îlot de tranquillité, non loin d’un torrent boueux drainant les sables des vastes éboulis qui pavent le haut du vallon.

Sous un petit toit de bois sont suspendus deux sachets remplis de lait, du Aïran pour que s’en écoule le petit lait. Avec le yaourt ainsi fabriqué, on roulera de grosses boules de fromage salé, dénommées kourout

Sous un petit toit de bois sont suspendus deux sachets remplis de lait, du Aïran pour que s’en écoule le petit lait. Avec le yaourt ainsi fabriqué, on roulera de grosses boules de fromage salé, dénommées kourout, qui sèchent au soleil sur le même toit. Une sorte de féta que le garçon de la famille chargera bientôt sur son âne pour les vendre au marché hebdomadaire de la vallée principale. Des juments ayant allaité leur poulain, on trait le lait restant pour fabriquer le koumiss, boisson légèrement fermentée dans une vessie de brebis ou dans un tonnelet encensé de genévrier. Le koumiss est la boisson estivale préférée des kirghizes qui vous en servent à chacun de votre passage sous une yourte. L’équipe s’égaie autour d’un filet lors d’un match de volleyball, sport que les jeunes kirghizes affectionnent, même les tous jeunes des yourtes voisines.

Sur son âne, le garçon de la famille achemine les produits laitiers pour les vendre au marché hebdomadaire

Jour 3

Genévriers tourmentés par les ans

Difficile de s’extraire de ce bel endroit le lendemain matin, en chemin pour le col de Sary Bel à 3137m d’altitude. Des vaches bien nourries par le fourrage abondant paissent alentour, contrastant avec les nombreuses vaches maigrichonnes que nous avons croisées dans d’autres steppes arides du pays. Ces dernières doivent se contenter d’herbes sèches sur pieds durant tout l’automne et l’hiver. Pour la suite du parcours, le regard plonge sur un relief intriguant de grès arondis, entaillés par la gorge profonde de Hoja-Köl.

La gorge spectaculaire de Hoja-Köl.

Nous ne pouvons emprunter cette gorge pour rejoindre la vallée de Jiptyk-Suu, mais suivons un sentier à flanc de coteau et de pierriers pour détourner l’obstacle et ses rives abruptes. Des têtes rocheuses arrondies par les vents et des arêtes aériennes colorées de gris et d’ocre, arborant de ci et là de beaux genévriers aux troncs tourmentés. Sur une de ces crêtes escarpées, en bordure d’un champ déversant, trône une ferme dont le toit est recouvert d’herbe.

Sur une de ces crêtes escarpées, en bordure d’un champ déversant, trône une ferme dont le toit est recouvert d’herbe (en bas à droite)

On nous dit cette bâtisse centenaire, mais toujours habitée à entendre les sifflets et les cris des enfants qui en émergent. Rares sont les passages en cet endroit spectaculaire et les gosses expriment leur joie de nous voir passer, pourtant au loin. Les vautours de l’Himalaya cerclent les courants ascendants dont nous tentons de nous abriter à l’ombre de genévriers: de très beaux arbres, et non des buissons comme dans les alpes, dont certains s’avèrent plus que centenaires. Au gré de notre descente, les têtes de grès rougeâtre se transforment en de spectaculaires falaises qui nous dominent de leurs fiers escarpements alors que l’autre flanc du vallon se couche en de belles dalles de calcaire gris. Un paysage inédit qui n’a rien à envier au Grand Canyon.

Un paysage qui n’a rien à envier au Grand Canyon

Le vallon nous conduit vers un goulet inévitable, d’où surgit la source vénérée et légendaire de Mazar. Pause dans un sous-bois agréablement ombragé. Non loin de là, le hameau de Oi-Tal héberge dans de typiques maisons quelques hôtes fuyant la torpeur de Osh pour la fraîcheur de la vallée de Jiptuk-Suu. La famille Mamatjakyr nous accueille pour le repas et la nuit dans sa guest-house nouvellement bâtie. Tout comme les autres groupes parcourant régulièrement notre trekking, la randonnée génère des revenus bienvenus dans ces vallées où l’élevage reste l’activité principale. Les bonnes années, ce ne sont pas moins de 600 randonneurs qui effectuent ce treck intitulé « The Best of Alay, » une référence au Kirghizistan.

Au pied de la gorge de Hoja-Köl, le hameau de Oi-Tal héberge de typiques maisons kirghizes
Arrivée au camp de yourtes, dans la montée vers le Jiptyk Pass

Jour 4
Ce sont d’ailleurs des marchands de bétail qui nous dépassent sur la piste remontant la vallée en direction du col encore éloigné de Jiptyk. C’est jour de marché et nous croisons un beau troupeau de yacks que leur berger descend vers le croisement des rivières où auront lieu quelques ventes. Opération non négligeable puisque un yack adulte peut valoir jusqu’à 1500 dollars avant d’être revendu, puis consommé en Ouzbékistan.

Surprise par notre arrivée plus tôt que prévu, Rachia nous prépare à la hâte d’excellents borsoks , petits beignets fris de farine légèrement sucrés « notre fast food » kirghize, précise-t-elle

Un agréable camp de cinq yourtes traditionnelles nous accueille pour un riche repas. Ce n’est décidément pas durant ce treck que nous mourrons de faim. La table est toujours agrémentée de « lepiochkas » le pain kirghize, de crème fraîche, de bonbons et de biscuits, avant que n’arrive le plat principal. Le camp est tenu par Rachia – Рахыя, de la même famille Mamatjakyr qui nous a reçus la nuit dernière. Surprise par notre arrivée plus tôt que prévu, elle nous prépare à la hâte d’excellents borsoks , petits beignets fris de farine légèrement sucrés « notre fast food » kirghize, précise-t-elle. Rachia réside sur place durant tout l’été, alors qu’elle travaille comme cuisinière dans la ville d’Osh durant l’hiver. Elle est aidée par trois jeunes étudiantes venues de Osh, Jarkinaïm -жаркынайым, Elina- Элина et Mavjouda – Мавжуда, futures journalistes à qui elle donne des cours de cuisine, qui profitent des rencontres sous les yourtes pour pratiquer leur anglais. Bien qu’étudiant à l’université, leur professeur ne maîtrise pas du tout la langue, comme cela peut souvent être le cas au Kirghizistan. Leur plov fait d’ailleurs merveille et les échanges sont riches autour de la table: un simple tissu posé au sol autour duquel les convives s’asseyent en tailleur. Les plaisanteries fusent au sujet des bavardages quasi permanents de Eliéna et de Jack, qui entraînent parfois d’autres participants dans leurs interminables discussions. Des « chiachiaronnis » précise Sandra dans une tonalité bien de sa langue italienne. Il est vrai qu’en bavardant le temps passe bien plus vite qu’à rester seul à méditer au lent rythme de ses pas de vieux guide, comme l’auteur de ces lignes…

Nuit paisible

Jour 5

Le lendemain nous voit démarrer de bonne heure car le chemin est long, sur une ancienne route creusée durant l’époque soviétique. L’objectif se situe au-delà des 4185m du col de Jiptyk. On ne manquait pas d’audace, ni de moyens à l’époque! Les seules bêtes qui disputent encore leur herbe aux marmottes sont de superbes yacks noirs, gris ou blancs dont les longs poils ventraux sont les seuls restes des hivers rudes qu’ils doivent vivre sur ces hauteurs. De quoi s’isoler de la neige lorsqu’ils se couchent.

Des yacks proches de 4000m d’altitude

Une dernière pente plus raide nous prépare au panorama grandiose des montagnes du Pamir qui brillent au loin. Leur cerbère, le Pic Lénine, trône encore trois mille mètres au-dessus de nos têtes, à 50 kilomètres d’ici. Il a une signification particulière aux yeux de Anne et de François, déjà occupés à jumeler l’itinéraire de leur toute prochaine expédition. Ce treck leur sert d’ailleurs d’acclimatation.
La température est si agréable sur le col que nous y mangeons le repas de midi servi, je vous prie, sur assiettes. Une vallée descend régulièrement jusqu’aux 3000m d’altitude de la vallée d’Alay, située à quelques 15 kilomètres à vol d’oiseau. Mais nous ne marchons pas jusqu’à Sary Mogol aujourd’hui, faisant halte dans un camp de yourtes situées juste derrière un verrou rocheux.

Notre groupe de Trecking et ses guides /porteurs devant la chaîne du Pamir

Repos à l’abri d’une yourte typique

Demain, le groupe se rendra encore au lac de Tulpar Köl, tout proche du camp de base du Pic Lénine. Après un dernier repas en commun, Anne et moi nous séparerons du groupe pour rouler au travers de la plaine de Alay jusqu’au camp de base du Pic Lénine. Une route très poussiéreuse nous acheminera au travers de la steppe aride, dans laquelle aucun arbre ni buisson ne se hasarde à hisser ses branches au-dessus de l’horizon. Enfin une yourte entourée de silhouettes noires osera se hisser au-dessus du sol uniforme. Quelle ténacité pour vivre en un lieu aussi austère, balayé par des tourbillons de poussière! Petit à petit d’autres camps apparaîtront et l’herbe se fera plus verte. 50 kilomètres de piste poussiéreuse nous demanderont plus de deux heures de conduite attentive, avant que l’air ne s’éclaircisse à nouveau, dévoilant notre objectif de ces deux prochaines semaines: le Pic Lénine et ses 7134m de roc, de neige et de glace. Il obstrue avec puissance tout notre champ de vision en direction du Sud. Bienvenue dans le royaume glacé du Pamir… Une aventure à suivre…

Camp de base du Pic Lénine (situé au fond à droite)

2 commentaires

  1. Merci pour ce beau récit et pour le partage, ça me fait rêver !

  2. Quelle envie! Super beau! Et certainement un peu plus frais qu’en Europe – et j’espère qu’il y ait aussi plus d’eau! Bonne chance pour la montagne. Ah oui, et encore une chose: chiacchieroni (ça s’écrit comme ça …)! Je n’en sais quelque chose … Un abbraccio a te e Anna. Christine

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